Cavalerie rouge, d’Isaac Babel

de la part de Philippe

  1. La littérature russe et ses monstres sacrés

Au sommet de la littérature russe brillent, à mon sens, Pouchkine, Tolstoï, Dostoïevski et Soljenitsyne. Ce choix se dicte par le foisonnement des œuvres et la richesse des thèmes abordés.

Point Pouchkine, ça va de soi.

Pour Tolstoï j’argumenterai sur l’épopée historique avérée avec un sens de la stratégique militaire et un vrai sens politique, ainsi qu’une vision sociologique de la haute société russe mais également du monde des campagnes et enfin une description bucolique des paysages russes.

Pour Dostoievski, je mettrai en avant l’introspection, l’analyse du caractère des personnages et les drames de la conscience humaine.

Enfin pour Soljenitsyne, il s’agit d’embrasser le siècle des guerres et des révolutions, d’analyser et dénoncer un système politique qui oppresse l’homme à travers son expérience de détenu et rendre hommage aux ZEK anonymes par des témoignages poignants pour ne pas oublier leurs sacrifices.

  • Les auteurs de second plan

A côté de ces monstres sacrés, je pourrai retenir dans un second temps, sans ordre ni préférence ni exhaustivité, Lermontov, Tourgueniev, Gogol, Gorki, Pasternak, Boulgakov, les auteurs de quelques chefs d’œuvre mémorables mais sur des thématiques plus ciblées.

Isaac Babel se situe à la marge de ces écrivains ; encouragé par Gorki de vivre au plus près la réalité de la guerre civile russe il décrit les escarmouches entre les différentes factions aux prises dans ce conflit, les soldats, les commissaires politiques et les civils partie prenante et victimes expiatoires (les Polonais, les juifs, les femmes et les veuves)

Il est d’autant plus oublié et ostracisé qu’il fut à la fois protégé par Gorki puis condamné par le régime lors des purges des années 30 et il n’a pas pu bénéficier d’une notoriété à l’étranger. Par ailleurs, ces écrits sont trop marqués, portent sur une période trouble peu connue et rédigé dans un style difficile à assimiler et sont interdits jusqu’à sa réhabilitation en 1954.

  • Le contexte historique

La guerre de 14 18 sur le front est entre les empires centraux et la Russie tsariste s’achève dès 1917 et se matérialise par la signature par le nouveau gouvernement soviétique du traité de Brest Litovsk en mars 1918. La défaite de l’Allemagne à l’ouest amène le nouveau pouvoir russe à contester ces accords et rouvrent les hostilités.

En effet le thème abordé dans Cavalerie Rouge est une guerre oubliée se déroulant aux marches d’empires en décomposition menée par des armées reconstituées à la hâte et composés de soldats peu formés, mal équipés (les calèches sont converties en mitrailleuse) souffrant de la faim et vivant de rapine (les soldats ont piétiné les blés et volent les chevaux). Les buts de cette guerre sont peu clairs, l’idéologie soviétique insufflée par des commissaires politiques mandatés par Moscou (par exemple Vorochilov) se matérialise à travers la lecture de compte rendu des discours de Trotski ou Lénine lors des internationales relayée par des acteurs locaux (commerçant juif) sans culture politique auprès de population sans éducation.

La région où se déroule l’action la Galicie est ballotée entre l’empire russe et austro- hongrois et issue du partage de la Pologne et de la décomposition de l’union polono-lituanienne (ce qui explique la présence dans l’ouvrage de mention de soldats et de nobles polonais et l’usage de monnaie polonaise le Zloty) Cette région très boisée « reculée » a permis également l’installation de communautés juives (Shtetl).

Les forces en présence sur le terrain mentionnées dans l’ouvrage sont les Polonais qui souhaitent maintenir leur mainmise sur la région et des troupes locales et d’autre part les bolcheviks envoyés par Moscou et appuyés par des forces locales constituées à la hâte (les cosaques du Don avec une pensée littéraire à Taras Boulba avec un protagoniste qui tue son fils)

Cette vision reste malgré tout « simpliste » car des alliances se nouent et se dénouent rapidement avec des changements de camps et l’émergence par exemple des cosaques verts.

  • Les thèmes abordés dans « Cavalerie Rouge » et ceux qui sont oubliés

Bien entendu, nous retrouvons des faits de guerre, mais celle-ci est en retrait par rapport à la description des populations civiles et leur misère car victimes des exactions de tout genre. Il faut noter la violence des scènes décrites (la nudité du fils du rabbin et sa mort) et l’absence totale du respect des « règles » de la guerre on tue les prisonniers et on viole les femmes.

Maintenant ce livre s’inscrit dans un contexte local de respects des traditions (l’importance et le respect des chevaux pour les cosaques) ou de pratiques religieuses juives (Hassidisme pratique du judaïsme comme réponse spirituelle à la misère des communautés juives d’Europe orientale, mention de Maïmonide)

La nature à travers la description de paysages reste limitée à l’exception de la première nouvelle (La traversée du Zbroucth)

Les relations humaines amoureuses sont peu abordées à l’exception de la nouvelle du baiser et laisse peu d’espoir car il faut repartir.

  • Le format de l’ouvrage

Il est difficile de répondre s’il s’agit d’un journal comme le mentionne l’auteur qui serait un correspondant de guerre, ou une correspondance ou enfin des nouvelles.

Ce qui est déroutant est le manque de continuité entre les chapitres, chaque chapitre est indépendant et il n’y a pas de fin à l’histoire.

Par contre si le style des correspondances (lettre du fils à sa mère dans la nouvelle « La lettre ») et les dialogues semblent décousus et incompréhensibles il pourrait s’agir d’effet de style pour renforcer le caractère frustre des personnages ( brutaux et incultes).

  • Synthèse

Au final il s’agit d’un ouvrage qui sort des canons de la littérature russe classique. Cet ouvrage court, violent donne un éclairage jusqu’à présent ignoré de l’histoire russe à mettre en parallèle de l’actualité en Ukraine

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